La naissance du hip-hop en France

Art Atk hip-hop Dee Nasty

Les années 80, berceau d’une jeune génération qui aime la danse, le funk, fascinée par une culture américaine. Une génération multiculturelle éloignée, de la capitale, de l’emploi, du dynamisme de la société. L’exode des classes populaires auquel on donnera le nom de France périphérique. Cette génération crie un besoin d’expression, elle veut de la visibilité, elle cherche à exister. Critiquée par leurs pères, cette jeunesse veut s’identifier à un nouvel état d’esprit, une forme d’expression différente pour s’émanciper de sa condition.

Solo, l’un des chanteurs du célèbre groupe hip-hop français « Assassin », parle des prémices de cette nouvelle culture dans l’hexagone avec la place du Trocadéro : un croisement sur Paris où l’on retrouve l’expression de différentes cultures. C’est ici qu’on pouvait voir en été 81 des danseurs comme Suga Pop, Mr Freeze, ainsi que Pop Master Fabel s’exprimer au plus grand nombre devant la tour Eiffel. La jeunesse, constituée de préadolescents et de jeunes adultes proches de la vingtaine, tue l’ennui et laisse la banlieue au profit de la capitale. Elle découvre pour la première fois, depuis le Trocadéro, Montparnasse ou le terrain vague de La Chapelle, une forme d’art dont le nom hip-hop n’était pas familier. La France a commencé à se connecter avec le hip-hop par ces différents petits canaux, mais l’une des étapes clés commence avec le New York City Rap Tour. Organisé par Bernard Zekri à la suite de plusieurs rencontres à New-York avec les artistes Jean-Michel Basquiat, Fab 5 Freddy, Futura, ou encore Madonna, il découvre ce nouveau courant musical et décide en conséquence d’en organiser une tournée en Europe. Il propose, accompagné de la troupe de breakdance des Rocksteady crew, Afrika Bambaataa, Dee Nasty une date au Bataclan qu’ils ne rempliront pas.

C’est l’émission du nom de Mégahertz diffusée le lendemain sur TF1 qui produit un reportage sur le concert de la salle parisienne et va ainsi donner de la visibilité à l’événement. Plusieurs personnes, comme Sidney, autrefois animateur de radio, sont subjuguées par ces personnes qui importent avec la danse un autre univers. Provenant de la Courneuve, Sidney, qui est DJ et musicien, produit des événements dans son quartier et anime une émission de musique funk sur les ondes de radio 7 dans les locaux de Radio France. Il ramène des invités influents de cette culture comme le danseur Mister Freeze, personnalité incontournable du hip-hop. Il compte également parmi ses invités Afrika Bambaataa, DJ du Bronx et ancien chef de gang des Black Spades. Ce dernier est le fondateur de la Zulu Nation (organisation internationale « pour la prise de conscience hip-hop »), et il est considéré comme l’un des acteurs aux prémices du hip-hop. De passage sur Paris, il va entendre sa musique sur les ondes du service public, et se dirige à la rencontre de l’animateur qu’il nommera ambassadeur de la culture hip-hop.

Pendant l’émission de radio 7, de nombreuses personnes venaient s’initier dans les locaux de radio France au break pour profiter du sol glissant en marbre. Marie-France Brière à la direction de la radio va devenir directrice des programmes à TF1. La chaîne n’est pas encore privatisée, il existe à cette période seulement 3 chaînes à télévision. Elle décide de ramener Sidney dans sa grille des programmes en 1984, pour une émission sur hip-hop après la série Starsky et Hutch. La télévision française à cette époque n’avait pas de jeux télévisés, et c’était pour la première fois les résidents de banlieue qui était représentée.

Comme le dit le rappeur Oxmo Puccino sur l’idée qu’il se faisait de l’émission H.I.P H.O.P plus jeune : « je ne réalisais pas à l’époque que c’était une certaine partie de la France qu’on voyait, parce que je n’avais pas remarqué avant ça qu’on ne montrait pas de pauvres à la télévision. Parce que c’est ça le hip-hop, l’émergence de la créativité des pauvres. » Alors que le sentiment d’être oublié existait, d’un coup, la jeune génération issue de banlieue se retrouve à la TV. L’animateur Sidney, qui a débuté à la radio deviendra le premier animateur noir de la télévision française. H.I.P H.O.P sera la première émission au monde traitant la culture hip-hop dans un format court (à peine 17 minutes). Il mettra en lumière tous les éléments de cette culture : le graff, la danse, le djing, la mode. Et les artistes américains vont venir dans cette émission ; notamment le pianiste, jazzman Herbie Hancock, qui composera un digne hymne national pour cette culture avec le morceau Rockit.

L’animateur Sidney ne pensait pas qu’il allait animer une émission pour un public composé essentiellement de jeune enfant. Alors qu’il présentait au pays une culture naissante, c’est cette nouvelle génération qui a suivi le mouvement via les postes de télévision, et même sur le plateau. Entre 10 et 15 ans, au lieu de traîner, ils veulent s’exprimer pour fuir le quartier et prouver qu’ils sont capables de faire des choses. Décembre 1984, l’émission s’arrête au terme de sa seule saison. Elle restera mythique pour avoir lancé le hip-hop dans l’hexagone. À la fermeture de l’émission, la seule porte d’entrée pour représenter le hip-hop n’existe plus. Les jeunes sachant danser n’avaient plus d’opportunité pour s’exprimer. On cherche à enterrer rapidement cet univers comme un effet de mode passager. Ce rassemblement oblige les danseurs à se diversifier, Solo, qui formera après le groupe Assassin, s’est lancé dans le rap français. Une première pour cette jeune génération qui n’avait écouté que du rap américain. Il se rassemble avec les graffeurs et DJ à l’instar de Mode2, Jay One, Dee Nasty, dans le terrain vague de la chapelle. Ils peignent dans les métros, et les plus jeunes découvrent la culture hip-hop depuis le chemin de l’école. Intrigués par ce que font leurs aînés, ils cherchent à rejoindre le groupe. Les premiers évènements fédèrent un nouveau hip-hop qui n’existe plus à la télévision, mais uniquement présent dans la rue.

Dans ce court résumé sur l’avènement du hip-hop en France on constate que cette culture a eu plusieurs métamorphoses. Derrière ce nouveau style apporté par les danseurs de break des États-Unis, la jeune génération la récupère avant tout dans un usage festif. S’amuser et s’exprimer sont les maîtres mots, mais la jeune génération qui voit les événements sociétaux n’a pas grand-chose pour pouvoir s’exprimer autrement que par le biais des médias traditionnels. Ils hybrident le hip-hop américain afin de l’utiliser dans l’hexagone. Ils dansent, puis écrivent sur leur quotidien, fin des années 80 ils commencent par s’exprimer avec leurs médias. Les premiers freestyles de NTM, Assassin, Minister A.M.E.R apparaissent en direct dans l’émission Deenastyle sur Radio Nova. Le rap français commence à s’émanciper avec comme exemple le magazine trimestriel Get Busy ou les premières compilations de Rappattitude. Ces nouveaux outils révèlent au grand public la 1ère génération de rappeurs français.

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Début des années 90, les ordres culturels dominants restent tenus pas les médias traditionnels : la télévision, la radio, ainsi que la presse. En particulier la radio, qui travaille en collaboration avec les labels. Un reportage du journal Le Monde présente ce rapport entre les maisons de disque qui produisent de gros artistes dans le but d’enregistrer des chansons qui seront diffusées à la radio. Cela offre une production triangulaire du star-system, produire, créer, et diffuser de la chanson pour en tirer un maximum de profit. Cette façon de faire porte ses fruits pour la variété française, mais pas pour le rap. À l’arrivée du hip-hop, les labels indépendants ou les gros majors — comme Warner — commencent à signer des artistes mais ils ne trouvent pas de diffuseur. Les radios bloquent ce style de musique qualifié de « vulgaire », et risquent de faire fuir les annonceurs qui payent cher leur publicité entre deux chansons. Mais l’arrivée de la loi Toubon impose de diffuser 40% de chansons francophones sur les ondes pour éviter d’être l’écho de l’industrie américaine, et le rap français va réussir à en profiter. De cette manière des groupes comme IAM vont faire leurs premiers pas dans les radios françaises, jusque sur les ondes nationales avec Skyrock qui vont faire du rap leur principale ligne éditoriale.

Souvent qualifié de mal pour un bien, la radio “première sur le rap” a provoqué de vives critiques vis-à-vis des artistes pour avoir sélectionné et orienté des titres musicaux aux lois de l’industrie. Avec ces moyens managérials et communicationnels, Skyrock à fait la pluie et le beau temps dans le paysage de la musique “urbaine”, ce qui lui a valu de fortes critiques. Heureusement pour les artistes internet jouera un rôle prépondérant dans cet accomplissement.

  • Benghozi, P., Chantepie, P. (2017). Jeux vidéo : l’industrie culturelle du XXIe siècle ?. Paris: Ministère de la Culture — DEPS.
  • Du Bronx au terrain vague de la Chapelle, le hip-hop arrive en France. (2014, mars 18)
  • Kaminsky, S. (2014, janvier 23). Bernard Zekri, passe-partout.
  • France Inter, F. (2019, avril 22). Sidney : le hip-hop, les années 80 et TF1
  • Arte, & J.O.E. l’Extraterrestre. (2019, avril 8). Out of This World — The Real Story of H.I.P H.O.P (1/10).
  • Le Monde. (2020, février 2). La France est-elle vraiment la deuxième terre du rap ? Et si oui, pourquoi ? (Rap Business Ep. 2)