Culture populaire, culture de masse

culture populaire, culture de masse

L’idéologie culturelle ne cesse d’être récupérée et partagée. Sa métamorphose est accompagnée de l’intérêt nouveau pour « le populaire ». Nous assistons à un croisement entre le fondement authentique de la culture et le sens commun. Le populaire garde un enjeu : celui de la lutte pour l’hégémonie des élites. Cependant, la définition de la culture populaire vient diviser les théoriciens. Faire le choix d’une définition unique signifie chercher à définir ce qu’est un homme ordinaire. C’est le risque de tomber dans une analyse vide de sens, de par nos différences. Afin d’éviter d’aboutir à des considérations creuses, regardons de plus près les sens du terme « populaire » et sa filiation avec la notion de “masse populaire”.


Nous sommes nombreux à consommer et à apprécier des produits de notre industrie moderne. Clients du cinéma, de la musique et de l’édition, nous apprécions le travail des artistes, membres de ces différentes cultures. De cette manière, le sociologue Stuart Hall évoque la définition marchande du mot « populaire » dans son livre Identité et culture :

 

« les choses qui sont dites “ populaires “ parce que des masses de gens les écoutent, les achètent, les lisent, les consomment et semblent en retirer un grand plaisir. »

Une définition que le sociologue ne partage pas complètement, mais qui selon lui « ne doit pas être tout à fait négliger. » Derrière cet aspect commercial, nous cherchons à associer une culture populaire à une culture de masse. Elle serait régie par des manipulations et causerait une dégradation sur la véritable culture du peuple. Cette vision est partagée par plusieurs théoriciens, qui pensent qu’une culture populaire authentique existerait face à une culture populaire commerciale. Stuart Hall ne partage pas cette idée, mais préfère affirmer qu’il n’existe pas de culture populaire authentique et autonome qui échappe aux rapports de domination et de pouvoir culturel. Il réaffirme le rapport entre la culture populaire et la situation d’hégémonie, mais pour lui, ce n’est pas une question d’authenticité. Dans la culture populaire, nous retrouvons différentes formes culturelles, qui sont en accord ou contradictoires. La culture se mélange aux classes sociales, et son terme populaire vient lier ses actions authentiques et communautaires. La force de la culture est d’être considérée comme étant le reflet de la vie sociale. Ainsi, le sociologue britannique la décrit de cette manière :

« la culture populaire trouve son origine dans les expériences, les plaisirs, les souvenirs et les traditions du peuple. Elle est liée aux espérances, aux aspirations et aux stratégies locales, aux scénarios locaux qui constituent les pratiques et les expériences quotidiennes des gens ordinaires. »
Je partage cette vision dans ce mémoire, mais la culture populaire reste un phénomène où les pratiques authentiques du peuple se mélangent aux rouages de la société de consommation. À mesure qu’elle s’est adaptée aux époques, elle est devenue un espace de marque pour l’industrie de la marchandisation. Dans la mesure où la culture populaire s’applique à la vie courante, celle-ci doit être maîtrisée par une intelligentsia de la culture. Cela permet d’être orienté par des formes objectivées à la consommation. La simple tradition ne suffit plus. Reste à comprendre comment elle se manifeste.

L’historien et sociologue américain Christopher Lasch le pointe du doigt dans son livre Culture de masse ou culture populaire ?. Il fait référence à “la culture jeune” qui s’est développée pendant les années 1960 : la culture de masse. Selon lui, elle constitue un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués pour les lois de l’industrie, et elle s’impose aux hommes comme n’importe quelle autre marchandise. Il voit dans le citoyen, un simple consommateur, soumis à une culture uniformisée, engendrant une passivité intellectuelle et dépendante. Néanmoins, tout le monde ne partage pas le même avis sur la question. La culture de masse est défendue selon laquelle elle apporte à chacun un ensemble de notions d’antan, réservées aux classes supérieures. Parmi les personnes qui critiquent cette notion, nous trouvons le sociologue Herbert Gans.

Pour lui, la culture de masse « ignore les traits distinctifs et les désirs des gens qui choisissent les formes de culture existantes ».

Du point de vue des intellectuels précédemment cités, le citoyen dépossédé de son travail s’ennuie et la culture n’a qu’un objectif : combler cet ennui. Ainsi, elle serait un simple passe-temps, destiné à distraire pendant les moments de temps libre, en dehors du travail. Ces questions et critiques sur la culture de masse ont mené à plusieurs analyses, réalisées pendant les années 1960. Dwight Macdonald, la figure journalistique du New Yorker, confirme dans son livre Against the American Grain l’existence d’une culture de haut niveau antidémocratique. Le fait qu’elle soit opposée au principe d’égalité n’en fait pas un problème selon lui. Il réaffirme que « les grandes cultures du passé ont toujours été les affaires d’une élite ». L’idée de retrouver les cultures populaires et élitistes dans un même ensemble devient une utopie.

 

En quelques lignes, nous pouvons constater la complexité à définir la culture populaire. Dans le cadre de cette étude, je me dois malheureusement de schématiser les discours sur la question du populaire. Certains voient dans cette notion un stade qui rassemble la culture des classes sociales pour le peuple, transformé en bouclier contre l’idéologie d’une culture dominante. D’autres voient une culture réappropriée pour la consommation, polie et uniformisée pour les sociétés modernes, engendrant une mentalité intellectuelle passive et dépendante. À mon sens, il n’est pas utile de défendre une vision plus qu’une autre, car dans le cadre de cette recherche, elles sont complémentaires. Nous constatons que les écrits introduits précédemment sont datés. De Stuart Hall à Christopher Lasch, Richard Hoggart ou Dwight Macdonald, nous avons les visions sur la notion du populaire, des années 1960 au début des années 2000.

 
Depuis cette époque, la culture s’est marginalisée. Aujourd’hui, la culture populaire a-t-elle la même définition ? Après des siècles de changements sociétaux, a-t-elle le même visage et les mêmes contenus ? Je laisse nos sociologues déterminer la nouvelle forme de la culture populaire. Dans notre cas, attardons nous sur le lien qui régit la culture populaire et le numérique. Analysons comment les cultures ont su profiter du numérique pendant ces années. Quelle est l’intelligentsia de cette nouvelle société numérique et comment se forme-t-elle ? D’où provient-elle ? Quelles identités sociales porte-t-elle et quels courants d’idées produit-elle ? Quel est son rôle et quel pouvoir s’assure-t-elle en liaison avec les forces sociales et politiques ? Nous répondrons à ces questions dans les prochaines parties.
 
Extrait du mémoire: “Comment le numérique redessine la culture populaire”
 
La suite prochainement sur Art Atk
Play Video
Play Video